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Les poèmes gagnants du Prix de la Poésie 2018 (Léo PORFILIO)

Thème ardeur

ARDEURS

Voilà que le couchant se diffuse dans l’air,
Un ciel de rubis brûle au-dessus de la mer
Et des montagnes brunes.
Les gorges du soleil rougissent en secret
Et l’univers baigné d’astres carmin paraît
Un océan de lunes.

Des milliards d’oiseaux saignent le midi bleu,
Semant des plumes d’ambre et flèches de feu
Dans le ventre des lames,
Et, comme des phénix ardemment consumés,
Ils répandent sur l’eau leurs muscles parfumés
En poussières de flammes.

Tandis que la nuit grasse étire ses faisceaux,
L’horizon noir profère un essaim de vaisseaux
Qui déchiquette l’onde
Et le cortège entier des cieux sanguinolents,
Des astres, des oiseaux et des navires lents
Fait palpiter le monde.

Les planchers sous-marins s’érigent en pitons
Et le courant conduit ses rougeoyants pythons
Par les phalanges d’îles,
Au point que les géants de pierre et de magma
Nagent, victorieux, dans leurs flots de plasma,
Comme des crocodiles.

Mon cœur est habité d’un tel embrasement
Dont le premier tison s’allume doucement
Aux rives de ta bouche ;
Ce sont les mêmes feux sur les mêmes sommets,
À cela près, vois-tu, qu’ils ne meurent jamais
Quand le soleil se couche.

Le vol de mes amours me blesse et te sourit,
De semblables voiliers traversent mon esprit
Quand ta lèvre subtile
M’effleure par le rêve où flambe ta splendeur,
En versant chaque soir sa plus sauvage ardeur
Sur mon cuir de reptile.

Voilà que tes baisers se dispersent dans l’air,
L’amour de rubis brûle au-dessous de ma chair,
Et dans l’ombre asservie,
Je ne vois plus roussir les gorges du soleil
Mais les songes en feu dont l’amène sommeil
Étoile encor ma vie.

LES MARCHES

Nous étions assis là, devant la cathédrale,
Amoureux dans l’air jaune, intense et pailleté,
Sur les marches de pierre où quelque brise australe
Soufflait pour nous le vent des longues nuits d’été.

Le soleil dévalait les pentes de Fourvière,
Chaque pavé prenait sa plus rouge couleur,
Et comme Dieu voilait le ciel et la lumière,
La pierre nous rendait son intime chaleur.

Sur les parvis du cœur, quand le temps passe et tue,
L’esprit, comme un granit, enferme les amours
Qui longtemps l’ont brûlé puis, un jour, restitue
Le souvenir ardent qui crépite toujours.

Tu m’as aimé si fort qu’aux vêpres rutilantes,
Les marches de Saint-Jean sont encore brûlantes.

Thème libre

LA DERNIÈRE LIBERTÉ

 

Le soleil s’est levé sur les champs de luzerne,

Halo blanc par-dessus les bosquets clairsemés,

Telle, sur un rempart, quelque tiède lanterne

Glisse à travers les murs ses rayons déformés.

L’été s’évertuait, depuis quelques semaines,

À vaincre les frissons des abondantes nuits

Et luttait pour dresser ses lumières amènes

Parmi la profondeur de leur immense puits.

Un essaim d’étourneaux embobinait l’espace

Que nulle âcre vapeur n’ornait ni ne griffait,

Si bien que, ventilés dans leur intime impasse,

Le ciel et les étangs rendaient un bleu parfait.

Dans l’aube de tissu, les filets de septembre,

Légers sous l’horizon, sur l’air appesantis,

Allumaient des lueurs et la petite chambre

Se remplissait d’éclairs par l’ombre ralentis.

Le regard élancé vers les campagnes vertes,

Elle penchait la tête et sans un mouvement,

Si belle, l’œil limpide et les lèvres ouvertes,

Son sourire assouvi souriait doucement.

Dans les fragilités sauvages de l’aurore,

Elle trouvait enfin les secours absolus

Que son cœur épuisé sollicitait encore,

Bien que l’évasion ne lui procurât plus.

Un joyau de sueur illuminait sa tempe,

Son corps était vêtu d’une robe de draps,

Et, comme le zéphyr fait ployer une hampe,

La seule pesanteur lui déroulait les bras.

Alors, dans le matin à la flamme ennemie,

Voyant venir le jour après tant de douleurs,

Pour la dernière fois, elle s’est endormie,

Dans un berceau bordé de suaves couleurs.

Libre comme septembre à l’automne fidèle,

Elle s’est endormie, et depuis son sommeil,

Chaque matin se fond sur un monde sans elle

Et les soirs se défont dans une eau sans soleil.

À CELLE QUI M’ÉVADE

Toi, ma muse fidèle, éternelle comparse,

Sur qui j’ai fait pleurer tant de sourds trémolos,

Te souvient-il encor de la candeur éparse

Qui conduisait le cours de mes premiers solos ?

Je te dois le flambeau de mes béatitudes,

Et sous l’écho diffus de tes frissons feutrés,

N’as-tu pas mille fois comblé mes solitudes

En diluant les maux qui s’étaient concentrés ?

Si ta rosace boit quelques rayons obliques,

J’entrevois le foyer de ton sein magistral,

Mais les angles secrets des cœurs mélancoliques

Ne se montrent jamais sous un jour intégral.

Quand un sursaut d’ardeur t’écorche par méprise,

S’il advient que mon ongle écaille ton vernis,

Je caresse ton bois comme une peau promise

Et j’inonde ton corps d’arpèges infinis.

Je te connais par cœur, je sais comment tu vibres,

Mais je n’aurais pas cru qu’il suffisait ainsi

Que nous fussions ensemble afin que d’être libres

Et que toi, mon trésor, pusses m’aimer aussi.

Je passerais ma vie à monter et descendre

Sur tes cordes, ton dos, tes hanches d’acajou,

À promener mes mains contre ton palissandre

Dont le fragment nacré te fait comme un bijou.

À reposer ma tête au creux de ton éclisse,

En écoutant chanter l’œuvre qui se poursuit

Avec l’oreille ouverte aux veines du bois lisse,

Toi seule sais combien j’aime passer la nuit.

Lorsque je sens ta peau palpiter sur ma joue

Et que tes vibratos m’enlacent chèrement,

Je me demande alors qui se livre, qui joue,

Et qui devient pour l’autre un fidèle instrument.

Un jour, je m’en irai comme toutes les âmes

Mais toi, luth éternel, toi qui me survivras,

Tu garderas le son de nos intimes flammes,

L’empreinte de ma pulpe et l’amour de mes bras.

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