Interview Louis Dubost – Lélixire #3

Comment êtes-vous arrivé  à l’écriture et à la poésie?

Avant d’arriver, il faut prendre le départ. Pour moi, le point de départ, c’est la lecture, grâce à la bibliothèque de l’école publique que je fréquentais quand j’étais enfant. L’école offre d’emblée une immersion dans le langage, on apprend à lire, écrire, parler, compter… Petit à petit, on différencie les fonctions du langage, on constate que celle de la communication, essentielle pour la vie sociale, n’est pas celle poétique, créatrice qui fournit un support à l’intimité, à l’affectif. Les poètes rencontrés à l’école proposent des modèles que l’on se plaît à imiter. J’ai commencé au Lycée par versifier à la manière de Lamartine (à l’époque, je vivais à Mâcon), de Baudelaire, de Verlaine… Puis, dans la cour de récréation, un de mes camarades m’a prêté un livre d’un compagnon de Résistance de son père, dont le titre à lui seul embarque dans le mystère, il s’agissait de Terraqué d’Eugène Guillevic. Ça a été le facteur déclenchant de mon “arrivée” dans l’écriture et la poésie. Comme quoi, dans une école, le moment de la récréation peut déclencher des vocations !

 

« Le poème ne transmet pas de message, n’informe pas.

Il est une forme à lui seul, une figure de langage qui existe en tant que telle, il est « autre » radicalement. »

 

Pour vous, qu’est-ce que la poésie?

J’aime bien la réponse de Guillevic à qui on avait posé la question :    « la poésie, c’est autre chose ». D’abord, le poème est une « chose » c’est-à-dire un objet identifiable et d’un usage à nul autre pareil. Par exemple, le mode d’emploi d’un lave-linge présenté sous forme d’un quatrain d’alexandrins ne sera jamais un poème, ça restera un mode d’emploi explicatif, dont la fonction est de transmettre une information, un message. Le poème ne transmet pas de message, n’informe pas. Il est une forme à lui seul, une figure de langage qui existe en tant que telle, il est « autre » radicalement.

 

Bien sûr, chacun peut projeter sur cette forme ses préoccupations personnelles, voire inconscientes : c’est un espace de liberté pour le lecteur. Et c’est bien pour cela que la poésie est si familière, indispensable pour qui veut échapper aux formatages factices du quotidien, pour la reconnaissance ou la conscience de soi. Indispensable, mais pas nécessairement utile : il n’est pas “utile” (au sens utilitaire : on peut très bien vivre sans) de lancer des cailloux dans l’eau, mais, comme le souligne le philosophe Hegel, l’enfant qui perçoit des ronds dans l’eau dit bien haut c’est moi qui en suis l’auteur, c’est moi qui ai provoqué ce changement dans le monde, c’est moi qui existe et suis conscient que j’existe. Il en est de même pour la poésie — et de toute création artistique —, son inutilité justifie son usage.

 

« La poésie n’est pas si mal représentée que les médias s’obstinent à le prétendre, les ventes de livres de certains poètes rendraient jaloux nombre de romanciers… »

 

Considérez-vous que la poésie est en danger, qu’elle n’est pas assez représentée ?

Son usage répond un peu à la question ! La poésie n’est pas “en danger”, elle est le danger par excellence. Dangereuse dans un monde où la massification uniformisée de l’opinion est « la règle d’or » pas seulement économique mais plus globalement culturelle. Il ne fait pas bon revendiquer d’être soi-même plutôt qu’une variable d’ajustement dans le puzzle marchandisé, jeter un pavé dans la mare du consensus libéral, de « résister » à la complicité confortable de la connerie ambiante, en particulier de poètes autoproclamés qui versifient leur lave-linge psychanalytique égocentré. Le poète assume le risque de la création face à la consommation formatée. « Créer, c’est résister » disait Gilles Deleuze. Et c’est dans les périodes de crise, l’Histoire en témoigne, que la poésie est la plus vivante, se révèle nécessaire. Ma génération a été imprégnée des poètes « de la Résistance », Guillevic bien sûr, mais aussi Eluard, Aragon, Péret, Borne, etc. Aujourd’hui, une génération de poètes entre en résistance et acquiert une audience appréciable. La poésie n’est pas si mal représentée que les médias s’obstinent à le prétendre, les ventes de livres de certains poètes rendraient jaloux nombre de romanciers…

Un poème en particulier?

Pour faire une pause, un extrait d’un poème de… Guillevic :

 

Moi, l’escargot

J’aurais pu

Ne pas exister

 

Le monde aussi.

 

Voilà. En quatre lignes, le poète dit ce que des philosophes ne parviennent pas à rationaliser en 500 pages.

 

Qu’est-ce qui vous aide à écrire?

Au sens strict de la question : un dictionnaire ! C’est une aide incontournable, il fait couler un bain de langage bien utile à l’écriture. D’une manière plus explicite, je dirais que les provocations du quotidien sont bien souvent des déclencheurs d’un travail de brouillon mental : je ne tiens pas de carnets de notes, mais je découpe des articles dans les journaux, je recopie des passages d’un livre, je colle tout ça en vrac sans projet préconçu. Je relis de temps à autre et parfois j’écris deux lignes sur lesquelles se greffent des éléments du brouillon mental. Depuis mon retrait de l’enseignement et de l’édition, je passe mon temps à cultiver mon potager, lieu riche de…. provocations ! La plupart des textes de Diogène au potager sont issus de ce champ métaphysique primaire, un microcosme où le monde entier s’invite pour peu que le poète entrouvre la haie. Ainsi des “correspondances” (cf. Baudelaire, Cézanne) se sont établies entre l’échalote et Sarko, le pâtisson et Mélenchon, le cornichon et l’existentialisme sartrien, la laitue batavia et Hollande, l’oignon et Arto Pasilinna, le radis et Alain Delon, le haricot et le zen navajo, le chou et Gainsbourg, la glycine et Antoine Émaz, etc. J’y trouve ce que je cherche, j’y cherche ce que j’y ai trouvé, Platon disait à peu près la même chose, il y a 2500 ans, à propos des questions existentielles que se posent les hommes.

 

« On reconnaît un poète à la figure qu’il invente,

au langage qu’il régénère, à la langue qu’il crée. »

 

Quels sont les principaux thèmes que vous abordez à travers votre écriture ? Pourquoi?

Rien d’original : les questions qui se posent aux hommes depuis qu’ils sont apparus sur la planète : la vie, la mort, l’amour, le bonheur difficile, le rapport à autrui… bref ! Tout ce que les poètes ont déjà chacun à leur manière abordé. Ce qui diffère, c’est la façon d’aborder, le point de vue, la forme dont je parle ci-dessus. On reconnaît un poète à la figure qu’il invente, au langage qu’il régénère, à la langue qu’il crée. J’aime beaucoup le titre d’un livre de James Sacré qui condense l’essentiel de la démarche poétique : Figures qui bougent un peu. Pour moi, James Sacré est l’un des grands poètes contemporains. Non pas parce qu’il est originaire de… Vendée (!), mais parce qu’il fait à notre époque un travail équivalent à des poètes comme Ronsard au XVIe siècle, Victor Hugo ou Mallarmé au XIX et, plus près de nous, René Char, Francis Ponge, Apollinaire, Prévert… Il rappelle à la conscience humaine le sens de l’universel, que l’homme n’est pas un simple chou-fleur comme disait Sartre.

 

Si vous deviez choisir un seul de vos recueils, lequel ? Pourquoi ?

Je crois que ce que j’ai  écrit de mieux, c’est L’Ile d’elle. Un livre qui est issu d’une crise existentielle tant dans le vécu que dans les thèmes: l’océan (à l’époque, je venais d’être exodé de Bourgogne et projeté en Vendée, l’océanique m’angoissait), le langage (marre de mon “image” de poète minimaliste, j’ai plongé dans la prose poétique), l’amour (liquidation d’une rupture amoureuse).

Ce livre a déclenché — et déclenche encore (presque un quart de siècle après sa parution !) chez ceux qui le découvrent — des admirations qui me désarçonnent et m’émeuvent.

 

Des projets d’écriture en cours?

Pour le moment, je poursuis (paresseusement !) l’écriture de textes “potagers”, j’en ai environ 120 déjà, des fragments ont été publiés : La Part du merle, un superbe livre d’artiste d’Éva Demarrelatrous et Diogène au potager paru en Belgique. J’aimerais parvenir à 200 textes rassemblés sous le titre de Diogène ou la main verte, histoire de concilier une approche philosophante avec des préoccupations écologiques tout en faisant œuvre de poète ! Ce n’est pas gagné d’avance. J’ai aussi dans la tête (brouillon mental !) un roman qui ferait suite au premier, La Demoiselle aux lumas, mais quand même un tantinet plus travaillé, les lecteurs m’ont encouragé à reprendre les tribulations du duo d’enquêteurs, le gendarme sage et flegmatique et la gendarmette sexy et allumée, j’y songe.

 

Une question à poser, une réflexion pour le monde?

Une formule d’un poète, décédé récemment, que j’aime beaucoup, Jean L’Anselme :

« Le poète raté, au lieu d’avoir la plume au bout des doigts, se la met au derrière pour faire croire à l’oiseau rare ».

 

Un dernier mot?

Comme en Vendée je n’habite pas loin de la côte, je le laisse à Jean L’Anselme :

 

Ça sent la mer d’ici

Elle ne doit pas être loin.

 

 

Un grand merci à Louis Dubost

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